Les NDA de OpenAI : La variable inconnue de la vague de démissions

Marie Louisy
De Marie Louisy 13 min de lecture
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Une étude dévoile l’impact des NDA sur les démissions et la gestion chez OpenAI, mettant en lumière des pratiques controversées.

Impact des NDA sur les démissions et la gestion chez OpenAI : Analyse et révélations

Depuis belle lurette, la profondeur de l’impact des inventions de OpenAI sur la société incite à réclamer des normes de contrôle plus élevées. Entre deux scandales, la startup perd des collaborateurs de premier plan, cependant aucun n’exprime ses motivations profondes. A l’origine : les NDA, des clauses léonines qui préservent l’intimité de la compagnie, même au détriment des employés démissionnaires. 

Dans cet article, vous découvrirez une face moins populaire, voire préoccupante de la gestion de OpenAI.  

Quelles NDA OpenAI a-t-elle définies ?

Certaines clauses limitantes existent souvent en entreprise. Elles peuvent s’appliquer pendant et/ou après y avoir travaillé. Généralement, elles fixent des obligations aux employés afin de protéger les intérêts de la compagnie, le plus souvent :

  • Des émoluments fixes de départ sous certaines conditions 
  • L’interdiction de collaborer avec la concurrence, même plusieurs années après la cessation du contrat 
  • L’interdiction de divulgation des informations confidentielles ou critiques pour la compétitivité de l’entreprise 

Dans le même ordre d’idées, OpenAI a engagé ses employés avec les accords de non-divulgation et de non-dénigrement (non-disclosure and non-disparagement agreements) : les NDA. Elles permettent à l’entreprise de récupérer quasi arbitrairement ses actions et d’empêcher les anciens employés en possédant de les vendre. En l’espèce, celles de non-dénigrement sont réputées trop coercitives et abusives. 

Sortie sous contrôle pour une prison dorée ?

Selon Vox1, les démissionnaires de OpenAI sont soumis à un choix draconien : signer des clauses très restrictives, ou perdre leurs actions acquises dans l’entreprise. Le tout dans un délai extrêmement court : 

L’accord général de libération et de séparation nécessite votre signature dans un délai de 7 jours.

Même en cas de demande de prolongation du délai de réflexion par les intéressés :

Nous voulons nous assurer que vous comprenez que si vous ne signez pas, cela pourrait avoir un impact sur vos capitaux propres. C’est vrai pour tout le monde, et nous suivons simplement les règles.

Cette pratique, selon les observateurs, équivaut à un forçage du consentement. En l’occurrence, les employés renoncent à émettre la moindre critique publique contre OpenAI. En échange, la startup désormais évaluée à environ 80 milliards de dollars maintient leur portefeuille d’actions, estimé potentiellement à des millions de dollars. Coutumière de la Silicon Valley, ce procédé implique de verser l’essentiel des rémunérations sous forme d’actions. 

En face des employés récalcitrants, qui l’ont surnommé “la boîte à outils de représailles juridiques”, tout un dispositif contraignant est mis en place. 

En pratique, les NDA de OpenAI par leur sévérité sont à l’origine d’un silence assourdissant : la valeur la mieux partagée par tous les employés démissionnaires de la firme. Et en parlant de démissions, la file semble ininterrompue depuis quelque temps. 

Peut-on réellement parler d’une vague de démissions chez OpenAI ?

Au moins 11 démissions2 se sont succédées à un rythme accéléré OpenAI, dont les plus récentes sont celles de Ilya Sutskever et Jan Leike. 

Ilya Sutskever 

Ilya Sutskever3 a cofondé OpenAI. Également scientifique en chef, il a participé au coup d’état manqué contre Sam Altman. Avare en commentaires, Sutskever prépare un projet :

Un projet qui est très personnellement significatif pour moi et dont je partagerai les détails en temps voulu.

Ilya Sutskever sur X

Jakub Pachocki4 a repris le poste de Ilya Sutskever. De l’université Carnegie Mellon, il a réorienté l’entreprise plus profondément vers les systèmes d’apprentissage profond (Deep learning). Directeur de la recherche depuis 2017, il a également dirigé le développement de GPT-4 et de OpenAI Five. 

De son côté, Sam Altman ne tarit pas d’éloges envers son ancien collaborateur. Nous ignorons si la démission de Sutskever a été spontanée ou s’il a dû abdiquer. 

Jan Leike 

Ancien co-dirigeant de l’équipe de superalignement, Jan Leike5 a démissionné quelques heures après l’annonce du départ de Sutskever. L’an dernier, le magazine Time l’avait cité parmi les 100 personnes les plus influentes de la spécialité IA. Leike est parti préoccupé :

La culture et les processus de sécurité ont cédé le pas sur des produits brillants.[OpenAI aurait] atteint un point de rupture6

Jan Leike

Logan Kilpatrick

Logan Kilpatrick a quitté OpenAI pour Google en mars 2024. Auparavant voix publique de référence pour OpenAI, il a évoqué face à The Next Wave le changement de mode opératoire chez son ancien employeur suite à son développement. De plus, il y aurait moins d’opportunités d’impact et d’acquisition d’expérience. 

Evan Morikawa 

Evan Morikawa a totalisé 3 ans et demi d’ancienneté avant de démissionner de OpenAI. Il part en bons termes avec son ancien employeur, et envisage un projet avec des anciens de Deepmind et de Boston Dynamics. Son tweet enthousiaste en témoigne :

J’ai eu le 🚀 de ma vie chez OpenAI et je suis extrêmement enthousiasmé par l’avenir là-bas.

Daniel Kokotajlo 

Daniel Kokotajlo était membre de l’équipe de sécurité de OpenAI. Après sa démission en février 2024, il a publiquement exprimé ses griefs sur le forum en ligne LessWrong. Il a évoqué une crise de confiance et une perte substantielle de responsabilité vis-à-vis de l’AGI. 

Pavel Izmaïlov 

Son contrat de travail prend fin en avril 2024, selon The Information. Il était proche et fidèle de Sutskever. 

William Saunders 

Saunders était manager de l’équipe de superalignement de OpenAI. Il a refusé de dévoiler ses motivations après sa démission en février 2024. 

Léopold Aschenbrenner 

Membre de l’équipe de superalignement, Léopold Aschenbrenner a été licencié de OpenAI en avril 2024. Selon The Information, il aurait divulgué des données à des journalistes. 

Andreï Karpathy 

Parti brièvement puis revenu en février 2023, Andreï Karpathy est un membre fondateur de OpenAI. En quittant son poste, il a partagé son ambition de développer des projets personnels, pour lesquels il est passionné. 

Diane Yoon 

Elle quitte son poste de vice-présidente du personnel début mai 2024 sans explication. Une attitude qui interpelle, pour l’une des plus anciennes managers de la boîte. 

Chris Clark 

Chris Clark quitte OpenAI en début mai 2024. 6 mois plus tôt, le seul commentaire en ligne de l’ancien responsable des initiatives à but non lucratif et stratégique, était élogieux :

Presque 8 ans chez OpenAI, et je n’ai jamais été aussi fier de travailler ici. Notre équipe est restée unie tout au long de cette épreuve et en est sortie plus forte que jamais.

Chris Clark, X

D’où provient un turn-over si important ? Serait-ce :

  • L’offre alléchante de la concurrence ?
  • Une différence de pensée profonde ?
  • Le rythme effréné de travail ?

En définitive, même Sam Altman, qui a été momentanément éjecté de la compagnie, a respecté la loi de l’omerta. Cependant vu sa position clé, il serait judicieux d’évaluer à quel point il constitue une partie prenante du processus. 

Sam Altman: victime ou bourreau ?

Sam Altman a cosigné les NDA de OpenAI, avec Diane Yoon (à l’époque vice-présidente) et Jason Kwon, le directeur actuel de la stratégie, des documents compromettants. La contrainte dans le document où apparaît la signature du COO Brad Lightcap stipule :

Si vous détenez des unités acquises… vous devez signer une renonciation aux réclamations dans les 60 jours afin de conserver ces unités.

Revenu à OpenAI en tant que PDG, Sam Altman a entériné les documents de constitution de l’entreprise. OpenAI plaide pour une procédure banalisée, sans motivation initiale de contraindre le salarié sortant :

Historiquement, les anciens employés pouvaient vendre au même prix, quel que soit l’endroit où ils travaillent ; nous ne nous attendons pas à ce que cela change. On ne sait pas clairement qui a autorisé le fait de dire à un ancien employé qu’il serait exclu de toutes les futures offres publiques d’achat s’il ne signait pas.

Un porte-parole de OpenAI

Toutefois, Sam Altman a accepté de faire amende honorable. Le PDG s’est dit “véritablement embarrassé”7. La compagnie a choisi d’explorer plusieurs pistes de solution.

Le comité de sécurité : un début de solution

Face aux résistances, OpenAI a choisi d’adoucir sa politique vis-à-vis du personnel. 

Comme nous l’avons partagé avec les employés aujourd’hui, nous apportons des mises à jour importantes à notre processus de départ. Nous n’avons pas retiré et nous ne supprimerons jamais les capitaux acquis, même lorsque les gens n’ont pas signé les documents de départ. Nous supprimons les clauses de non-dénigrement de nos documents de départ standard et nous libérons les anciens employés des obligations de non-dénigrement existantes, à moins que la clause de non-dénigrement soit mutuelle. Nous communiquerons ce message aux anciens salariés. Nous sommes extrêmement désolés de ne changer ce langage que maintenant ; cela ne reflète pas nos valeurs ni l’entreprise que nous voulons être.

OpenAI

A la place du comité de superalignement qu’elle a récemment démantelé, OpenAI a instauré un Comité de sûreté et de sécurité. Sa première mission : évaluer les processus et les garanties de OpenAI pendant un trimestre. Il s’agit également d’une réponse sur mesure aux critiques de Jan Leike et des employés démissionnaires. Les résultats seront partagés avec le conseil d’administration, puis le grand public. 

[OpenAI] retiendra et consultera d’autres experts techniques et en matière de sûreté, de sécurité et pour soutenir ce travail, y compris d’anciens responsables de la cybersécurité.

OpenAI 

Que cache cette tendance chez OpenAI ?   

Les têtes de pont de OpenAI partent à rythme accéléré mais se taisent : Que cache cette tendance inquiétante chez OpenAI ? Les événements pointent une culture du secret avérée. 

  • Les employés à des postes décisifs de OpenAI démissionnent massivement
  • Ils n’émettent aucune critique envers leur ancien employeur
  • La nature contraignante des NDA de OpenAI semble être à l’origine du problème
  • OpenAI, avec à sa tête Sam Altman, a décidé d’appliquer les changements nécessaires pour mieux respecter les droits des employés 

En haute technologie, les changements font partie du décor, qu’il s’agisse du mobilier ou du personnel. Cependant la vigilance reste de mise. Car pour paraphraser l’auteur Taha-Hassine FERHAT : « Une ombre peut en cacher une ou plusieurs autres ».  


Références

  1. Leaked OpenAI documents reveal aggressive tactics towards former employees, Vox. Publié le 23 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  2. OpenAI resignations are reaching an alarming level. Here are 11 key people who have left, Fast Company. Publié le 17 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  3. Le scientifique en chef d’OpenAI quitte l’entreprise, Journal du Geek. Publié le 19 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  4. OpenAI : Ilya Sutskever quitte son poste de Chef scientifique, Jan Leike démissionne dans la foulée, Actu IA. Publié le 16 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  5. OpenAI perd un quatrième responsable de l’entreprise pour désaccords éthiques, Yahoo Actualités. Publié le 22 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  6. Worker voice | Employee criticisms & resignations prompt OpenAI to announce safety committee, HR Grapevine. Publié le 28 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
  7. « Genuinely embarrassed » | Sam Altman apologizes after learning strict OpenAI NDAs threatened to claw back employee equity, HR Grapevine. Publié le 20 mai 2024. Consulté le 29 mai 2024. ↩︎
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